En plein cours d’histoire moderne, où Pandora se débattait entre l’Italie des Médicis et celle des Sforza, quelqu’un frappa à la porte et interrompit la prof qui montrait des transparents au tableau. Dans la pénombre de la classe, Pandora arriva à reconnaître tant bien que mal la secrétaire du proviseur de Rosewood. C’était généralement mauvaise limonade quand elle venait celle là, ça voulait dire convocations, colle, ou renvoi … bref rien de très réjouissant pour le nom qui allait être appelé. Pandora sachant que ce n’était certainement pas elle, continua à prendre ses notes comme si de rien n’était, la tête supportée par sa main.

- Bonjour professeur, désolée pour l’interruption, mais est-ce que je peux vous prendre miss Hawkes quelques instants ?

Quand son nom tomba, Pandora en sursauta presque ! Quoi ? C’était une blague ? Même la prof avait un air complètement ahuri. L’une de ses meilleures élèves convoquée chez le principal ? Les élèves avaient exactement la même tête. C’est rougissant de honte que Pandora ramassa ses affaires et suivit le bras droit du proviseur le long des couloirs. Les étudiants qui n’avaient pas cours la regardaient passer avec pitié. Quand elles arrivèrent enfin au bureau de la direction, Pandora s’installa avec des sueurs froides sur un siège face à un homme d’une cinquantaine d’années aux cheveux grisonnants. Il semblait plonger dans des papiers officiels qu’il tamponnait et signait, il daigna lever les yeux sur elle que quelques minutes plus tard …

- Mademoiselle Hawkes, je vous ai fait venir parce que l’un de vos camarades pense que vous courrez un danger.

Pandora s’était attendu à tout sauf à ça, elle resta complètement bouche bée !

- Excusez moi ?

- Désolé si je me montre franc, mais ce garçon m’a laissé entendre que l’on pouvait vous frapper !

C’était la meilleure celle là ! Quelqu’un avait-il fait des recherches à son sujet dans les journaux britanniques de l’époque et découvert qu’elle avait été battue par sa mère ? Mais en quoi ça concernait aujourd’hui Rosewood ? Toute cette histoire remontait à plus de cinq ans.

- Que l’on me frappe ?

- Oui que l’on vous bat, que vous recevez des coups quoi … Alors si vous vous taisez parce que votre grand oncle est un homme politique puissant, sachez que l’on peut quand même l’attaquer, si on a pu faire tomber un Clinton pour adultère, on peut faire tomber sans soucis un sénateur !

- Euh … Monsieur … je ne sais pas qui est allé vous raconter ça ni pourquoi, mais je ne me fais pas battre par mon grand oncle.

- Par sa femme alors peut-être ?

- PERSONNE NE ME BAT !

- Alors pourquoi vous avez levé votre bras comme pour vous protéger quand le professeur de littérature est venu hier vous montrer un livre à la bibliothèque ?

C’était la question qui tue et elle s’enfonça de plus en plus sur son siège comme pour disparaître. Maintenant qu’elle y repensait, c’est vrai qu’elle avait eu ce réflexe débile à ce moment là. Qui avait pu être là et voir ça ? Il y avait tellement de lycéens.

- C’est le geste typique qu’ont les enfants martyrisés. Etrange non ? Mais comme je n’attends pas d’autre réponse de votre part que celle que vous venez de me donner, j’ai demandé à l’infirmière scolaire de vous examiner, on verra bien ce que ça donne.

Pandora avait envie de tuer le gars qui avait balancé ces rumeurs au principal, si ça allait plus loin, son père biologique autrement dit le sénateur allait être poursuivi. Le scandale serait énorme, son secret serait découvert car on enquêterait aussi sur elle et son petit chantage serait foutu ! Le principal lui indiqua la pièce d’à côté, elle se leva et ouvrit la porte. Dans une petite pièce, l’infirmière l’attendait. Elle tenta de la mettre à l’aise mais Pandora bouillait de colère et ne décrocha pas la mâchoire une seconde. Pandora se mit en soutien gorge et culotte comme l’infirmière le lui demandait et elle l’examina sous tous les angles pour voir si elle avait des bleus ou même peut-être des choses de cassées. Heureusement que cette femme ne trouva rien du tout et pour cause la pauvre faisait fausse route, elle avait cinq ans de retard … Gênée de n’avoir rien trouvé et de lui avoir fait subir ça, l’infirmière voulut s’excuser …

- Il ne faut pas nous en vouloir, ni même à Lucas Lown d’ailleurs, il a pensé bien faire ! Il avait peur pour vous !

- Quoi c’est Lucas qui est allé raconter ça ?

Immédiatement, Pandora sortit son blackberry de la poche de sa veste et écrivit un texto à Lucas : J’ai à te parler, c’est urgent attends moi dans le couloir de la direction. Ni coucou, ni merci, ni bisous, c’était pas dans ses habitudes, mais là elle était vraiment en pétard. Après avoir reçu l’accusé de réception, elle se rhabilla et sortit de cette pièce pour rentrer à nouveau dans le bureau du principal qui demanda ses conclusions à l’infirmière.

- Il n’y a strictement rien Monsieur le principal ! Aucun hématome, aucune cassure.

Le proviseur fixa Pandora. Il doutait ça se voyait comme le nez au milieu de la figure.

- Très bien, on se trompe peut-être, je ne ferais donc rien pour l’instant mais on va quand même vous tenir à l’œil miss Hawkes! Si vous êtes battue, on le saura ! Ce n’est pas aujourd’hui qu’on va fermer les yeux sur la maltraitance dans ce lycée !

D’un côté Pandora était super énervée, de l’autre elle se sentait flattée et un peu amère. Elle aurait aimé être traitée comme ça quand elle en avait eu vraiment besoin. Mais à Liverpool, le directeur avait d'autres chats à fouetter que de s'occuper du bien être ou non de ses élèves. Il pensait plutôt au subventions qu'il pouvait recevoir.

- Comme les cours finissent dans moins d’un quart d’heure, pas la peine de déranger à nouveau votre professeur, vous pouvez directement aller en pause. A bientôt mademoiselle.

- Au revoir Monsieur.

Pandora attrapa son sac de cours et sortit du bureau. Dehors Lucas l’attendait avec une tête de coupable. Après avoir refermé la porte du principal, elle courut vers lui plus qu’elle ne marcha. Elle l’empoigna par le bras et le mitrailla du regard.

- Qu’est ce que t'es allé raconter ? T’es cinglé ou quoi ?

Pandora avait la moutarde qui lui montait de plus en plus au nez, et après avoir relâché Lucas, elle se mit à marcher de long en large devant lui, les poings crispés… Il fallait qu’elle réagisse rapidement pour ne pas tout perdre ! Elle devait réfléchir à une solution, Lucas devait aller dire au proviseur qu’il avait dû rêver, qu’elle ne se faisait pas battre. Elle se maudissait intérieurement d’avoir eu un geste si stupide à la bibliothèque, d’accord c’était un réflexe mais ça faisait cinq ans maintenant que le cauchemar était terminé. Cinq ans qu'elle menait une belle vie amplement méritée! Et voilà que Lucas allait tout gâcher même si ses intentions étaient sympas et adorables ! Elle respira profondément, même si sa colère était bien là, il ne fallait pas qu’elle hausse trop la voix, ils étaient quand même dans le couloir de la direction.

- Écoute Lucas, je sais très bien que tu as fait ça pour mon bien mais tu te trompes complètement. Je ne suis pas battue, le prof est arrivé derrière moi, je ne m’y attendais pas du tout ! J’ai sursauté et j’ai eu un geste débile, je le reconnais ! Il faut pas que tu conclues direct ça.

D’ailleurs oui comment ça se faisait que Lucas ait découvert la vérité sur ce simple réflexe ? C’était pas un hasard du tout. Pour mettre en plein dans le mille, il fallait qu’il ait connu exactement la même chose qu’elle. Cette pensée lui fit mal pour lui, peut-être qu’elle se trompait mais Lucas n’aurait pas réagi comme ça s’il n’avait pas eu lui aussi une enfance difficile.

C’est à ce moment là qu’elle comprit ce qu’il avait voulu faire pour elle et elle se mit à sa place. Si elle l’avait vu lever un bras alors qu’un prof était venu lui parler, ça lui aurait serré le cœur et sans doute qu’elle aussi serait allée voir le proviseur pour qu’on le protège. Que l’école porte plainte contre ses parents, en somme qu'ils réagissent et fassent quelque chose pour lui. La maltraitance envers un enfant est quelque chose d’horrible et d’ailleurs Pandora envoyait tous les mois des dons à des assocs qui luttent contre ça. Oui elle comprenait la réaction de Lucas même si ça pouvait lui causer pas mal d’ennuis. Mais pour qu’il lâche l’affaire, elle n’avait pas d’autre choix que de lui mentir, sinon elle devait tout lui raconter et jusqu’au bout. Comment il pourrait après la regarder droit dans les yeux en sachant qu’elle avait noyé sa mère dans son bain ? Elle le dégoûterait c'est certain !

- Oublie ce que tu as vu d’accord ? On ne m’a jamais battu ! JAMAIS !

Et voilà ! Elle venait de mentir, elle n’aimait pas du tout ça et elle en ressentit de la honte. D’un côté elle espérait qu’il la croit, de l’autre non car elle venait de manquer l’occasion de parler à un ami, de se confier enfin à quelqu’un sur cette histoire. Car elle avait vécu quand même un sacré traumatisme. Soudain son portable sonna. Pandora aurait pu bénir ce texto qui lui donnait l’excuse de regarder ailleurs, et de ne pas fixer Lucas comme elle venait de le faire en lui mentant. Mais elle déchanta très vite, le numéro déjà était inconnu et ce qui avait écrit dessus lui donna froid dans le dos …

Citation :

Cher Pandora ;

Tu sais ce qui est réservé aux gens qui tue leurs parents ?? La mort, ou l'emprisonnement à vie. Mais ne t'inquiètes pas, je pense que les juges seront clément avec toi : après tout tu as des circonstances atténuantes
A.

Elle releva la tête et regarda à droite et à gauche pour voir qui avait bien pu envoyer ce message. Mais personne ! Il n’y avait que Lucas et elle dans le couloir et il n’avait pas son téléphone à la main ! Quelqu’un dans le campus savait tout sur elle ! Bien sûr les Etats-Unis ne pourraient pas la juger puisque tout s’était passé en Angleterre et d’ailleurs il y avait eu un non lieu là bas, mais si des preuves nouvelles étaient données à la Police ? Si le scandale éclatait ? Elle serait virée de l’école, ses amies lui cracheraient au visage, on la chasserait de Rosewood. Elle voyait déjà les titres des journaux et en avait des sueurs froides rien que d'imaginer !

Pandora effaça ce texto horrible mais chaque mot était gravé dans sa mémoire. Elle tenta de dire quelque chose à Lucas qui devait la voir pâlir de secondes en secondes, mais pas un son sortit de sa bouche et le visage de Lucas devenait flou très flou. La visite chez le proviseur, l’examen humiliant de l’infirmière, et la peur que venait de lui donner le texto, tout ça lui provoquait une chute de tension. Tout à coup, elle se sentit tomber par terre, tout tourna et puis ce fut le noir.